L'addiction
Bien que la consommation de produits soit un fait très ancien qui remonte à des milliers d'années dans l'histoire des civilisations, les conduites addictives et l'addiction représentent aujourd’hui un grave problème sanitaire et social au sein de la communauté. Elles engagent de près ou de loin une grande majorité de la population et cela indépendamment d’avoir des contacts directs ou non avec une personne dépendante. De multiples secteurs de vie sont concernés tels que la santé, l’éducation, la famille, le travail, la justice ou encore le monde politique. Elles sont intimement liées à la culture et à la société avec comme exemples récents la crise des opioïdes aux États-Unis et l’hécatombe qui s’ensuit, l’usage de plus en plus rependu de la cocaïne en Europe, l’apparition des nouveaux produits de synthèse ou encore l’omniprésence des écrans avec la reconnaissance récente par l’OMS du trouble lié au jeux vidéo (1-3). Selon certains auteurs, l'addiction est en passe de devenir « la maladie du XXIe siècle », symptomatique des dynamiques et conflits qui agitent notre environnement, des aspirations et des paradoxes dans lesquels se trouve pris l’individu contemporain (4,5).
D'un point de vue biomédical, l’addiction est définie comme un trouble cérébral chronique récidivant, caractérisé par la recherche et l’usage compulsif de produits psychoactifs ou la répétition compulsive de certains comportements comme le jeu d'argent (7,8). Elle est évolutive, émaillée de rechute et envahit progressivement l’ensemble de la vie de l’individu. Elle implique un changement fonctionnel de circuits cérébraux engagés dans la récompense, le stress et la maîtrise de soi, incluant le système dopaminergique lié à de nombreux autres systèmes de neurotransmetteurs. Une personne addict perd alors la capacité de choisir librement d’arrêter de consommer. Quelle soit liée à l’usage de produits ou comportementale, l’addiction partage une série de caractéristiques cliniques. Elle apparait souvent à l’adolescence ou au début de l’âge adulte avec un développement progressif. Le comportement de consommer est maintenu malgré les conséquences négatives. L’expérience subjective d'envie (craving), d’inquiétude et d’excitation intense durant l'activité préparatoire est présente en plus du sentiment de perte de contrôle. La tolérance conduit à augmenter les doses pour ressentir les mêmes effets. L’arrêt se caractérise par un inconfort physique et psychique. Une propension à la substitution à d’autres dépendances est présente (9).
L’existence d’une personnalité addictive est un mythe (6). Tout un contexte holistique biomédical, psychologique, affectif, familial, social, professionnel et spirituel est impliqué à l’échelle de l’individu et du système dans lequel il évolue. L'addiction est d’origine multifactorielle avec l’intrication d’une multitude de déterminants (1). Elle née d’une rencontre entre un produit ou comportement (pouvoir addictogène, modalités des consommations), un individu (prédispositions innées et acquises, comorbidités ou troubles associés, personnalité et développement psychologique, âge précoce des premières prises, etc.) et son environnement (conditions sociales, stress, disponibilité du produit et consommations chez les proches, etc.). Suivant ce modèle, chaque personne possède des facteurs de risque et des facteurs protecteurs intrinsèques et extrinsèques, modifiables ou non. La part des gènes tient un rôle important et pourraient représenter jusqu'à la moitié de la vulnérabilité d'une personne dans le développement d'une dépendance, effets épigénétiques compris (6). Bien que des travaux aient pu souligner ce lien, relier l'addiction à des gènes reste toujours complexe. Le contexte culturel et la pression socio-environnementale module cette vulnérabilité et bien d’autres facteurs sont impliqués.
Outre le paradigme de l’addiction perçue comme un trouble, plusieurs auteurs suggèrent qu’elle relève d'un problème d’adaptation et de style de vie, modélisé par des conditions externes avec des périodes critiques de développement durant lesquelles l’individu est plus vulnérable aux circonstances sociales, aux contraintes de temps et à d'autres forces sociales environnementales (10). L’addiction est en effet présente chez une grande partie de la population incluant l'alimentation et le sucre, les écrans, le travail, le sport, etc. sans qu’il soit pragmatique de considérer tous les individus comme malades, étiquette servant surtout à remplir une fonction heuristique. Certains patients refusent d’ailleurs un diagnostic, cela pouvant être un frein dans les prises en charge biomédicales actuellement proposées.
Les conduites addictives liés aux addictions entrainent de multiples retentissements somatiques directs et indirects. Elles s'accompagnent d'un impact social négatif sur la vie communautaire avec des difficultés interpersonnelles et une souffrance de l'entourage, un retentissement sur le travail, une contribution à la violence et à la criminalité et des problèmes financiers, entre autres (11,12). L'addiction est aussi liée à d'autres maladies psychiques associées telles que les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et le stress post-traumatique, les troubles de la personnalité ou encore le déficit de l’attention (13). Ces « dual disorders » pourraient être expliqués par l’existence des facteurs de risque communs et bases neurobiologiques sous-jacentes communes. Un trouble psychique peut aussi contribuer à l'apparition de conduites addictives à visée auto-thérapeutique et une consommation peut déclencher un trouble psychique secondaire. Une approche globale dans l’identification et le traitement de ces comorbidités est importante (14,15). Elles affectent négativement le fonctionnement des patients qui sont alors moins susceptibles de s’engager dans une démarche thérapeutique, de répondre à des soins efficaces et de se sentir entendus et compris dans leurs besoins (16-18).
Au cours du temps, l'homme a traité de différentes manières les personnes touchées par l’addiction. Bien qu’il y ait eu des progrès considérables ces dernières années au niveau de la recherche scientifique dans les neurosciences, dans la prévention et dans les soins, les données épidémiologiques de prévalence et d'incidence de l'addiction et des conduites addictives ne diminuent pas à la hauteur de nos espérances. Les actions visant à résoudre ce problème sont diverses du fait de sa complexité considérable. Comprendre les raisons multiples pour lesquelles les consommations peuvent engendrer des problèmes individuels et sociétaux reste un défi actuel, par exemple en ce qui concerne la perte de contrôle et les craving qui finissent par caractériser la dépendance. Aussi, les jugements moraux, qui ont encore un grand poids, dans le grand public et chez les professionnels, entravent les processus de participation aux soins et de rétablissement des patients. À mesure que l'addiction a de plus en plus été reconnue comme un trouble psychique et que son impact a pu être pris en compte, différentes options de soins ont émergé. Une meilleure compréhension récente des mécanismes neurobiologiques en jeu a permis à la biomédecine de proposer des traitements médicamenteux ciblés. L'approche pharmaco-thérapeutique est alors venue compléter une approche auparavant purement sociale et psycho-comportementale.
La démarche thérapeutique doit être globale, personnalisée, multidisciplinaire, centrée sur le patient et axée sur le rétablissement selon une approche holistique (19-22). Chaque patient est différent, tout comme les conditions dans lesquelles ses problèmes existent. Il n'y a pas de traitement universel. La prise en charge doit s’attacher à avoir une compréhension entière et humanisée de la personne et des circonstances de sa dépendance. Elle s’inscrit dans un parcours thérapeutique au long cours qui vient répondre aux rechutes fréquentes et à un besoin de réinsertion socioprofessionnelle lorsque les répercussions sont importantes. Elle implique un continuum d'outils multi-systèmes coordonnés et adaptés au stade, spécificités et préférences de l'individu afin de couvrir la constellation de facteurs pathogènes multidimensionnels, dynamiques et différentiels qui influencent l’évolution de l'addiction. L’adéquation des traitements peut être facilitée par des processus d’évaluation orientés sur les objectifs incluant la qualité de vie. Ces objectifs doivent être suffisamment attrayants et réalisables pour que le patient soit disposé à participer en étant motivé. Ils doivent correspondre à ses désirs, qui ne sont pas forcément guidés par les propositions de traitements centrés sur les consommations.
Références
1) Ouzir M. Etiological theories of addiction: A comprehensive update on neurobiological, genetic and behavioural vulnerability. Pharmacology Biochemistry and Behavior. 2016
2) Obradovic I. La crise des opioïdes aux États-Unis. D’un abus de prescriptions à une épidémie aiguë. Institut français des relations internationnales. 2018
3) European Drug Report 2019. EU drugs agency (EMCDDA). 2019
4) Couteron JP. Société et addiction. Le sociographe. 2012
5) Courtwright D. The age of addiction, How bad habits becaime big buisiness. 2019
6) Szalavitz M. Genetics: No more addictive personality. Nature. 2015
7) National Institute on Drug. Drug Misuse and Addiction
8) Grigson PS. Addiction: A multi-determined chronic disease. Brain Res Bull. 2018
9) Oliveira LG. Characterization of Substance Dependence. Innovations in the Treatment of Substance Addiction. Springer. 2016
10) Sussman S. Prevalence of the Addictions: A Problem of the Majority or the Minority? Eval Health Prof. 2011
11) Lander L. The Impact of Substance Use Disorders on Families and Children: From Theory to Practice. Soc Work Public Health. 2013
12) Fox TP. The Destructive Capacity of Drug Abuse: An Overview Exploring the Harmful Potential of Drug Abuse Both to the Individual and to Society. ISRN Addict. 2013
13) Lieb R. Epidemiological Perspectives on Comorbidity Between Substance Use Disorders and Other Mental Disorders. Co-occurring Addictive and Psychiatric Disorders: A Practice-Based Handbook from a European Perspective. Springer. 2015
14) Baigent M. Managing patients with dual diagnosis in psychiatric practice. Curr Opin Psychiatry. 2012
15) Kelly TM. Integrated Treatment of Substance Use and Psychiatric Disorders. Soc Work Public Health. 2013
16) McCallum SL. Patient satisfaction with treatment for alcohol use disorders: comparing patients with and without severe mental health symptoms. Patient Prefer Adherence. 2016
17) Boden MT. Dually diagnosed patients’ responses to substance use disorder treatment. J Subst Abuse Treat. 2009
18) Schulte SJ. Dual diagnosis clients’ treatment satisfaction - a systematic review. BMC Psychiatry. 2011
19) Marchand K. Conceptualizing patient-centered care for substance use disorder treatment: findings from a systematic scoping review. Subst Abuse Treat Prev Policy. 2019
20) van der Stel J. Precision in Addiction Care: Does It Make a Difference? Yale J Biol Med. 2015
21) Ragia G. Personalized Medicine of Alcohol Addiction: Pharmacogenomics and Beyond. Curr Pharm Biotechnol. 2017
22) Adedoyin C. Revisiting Holistic Interventions in Substance Abuse Treatment. Journal of Human Behavior in the Social Environment. 2014